Résumé
Ce rapport est le fruit de cinq années de recherche et de plaidoyer ciblé au nom des écrivains et des journalistes qui sont censurés ou persécutés pour leurs travaux en République populaire de Chine. Il présente les conclusions de PEN International, compilées par nos chercheurs internationaux et par nos collègues sur le terrain en Chine, sur les menaces constantes faites aux écrivains et journalistes individuels dans le pays et notre évaluation du climat en matière de liberté d’expression dans l’État le plus peuplé du monde. Ces conclusions et évaluations trouvent un écho et sont amplifiées tout au long du rapport dans dix essais réalisés par des écrivains connus vivant en Chine et à l’extérieur.
Comme l’introduction de ce rapport l’énonce clairement, l’inquiétude de PEN sur le traitement des écrivains individuels en Chine se rapporte principalement aux expériences des membres PEN dans ce pays, notamment le poète et critique Liu Xiaobo, membre fondateur et ancien président du centre PEN chinois indépendant et lauréat du prix Nobel de la paix 2010. Liu Xiaobo purge une peine de onze ans de prison pour sept condamnations portant prétendument sur une « incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Sa liberté et la liberté de sa femme, Liu Xia, placée au secret de manière extrajudiciaire dans son appartement de Pékin depuis que la sélection du prix Nobel de Liu a été annoncée, demeure l’une des priorités d’organisation les plus élevées de PEN.
À la lecture du chapitre un de ce rapport, « pression de l’échelon supérieur », il est évident que le cas de Liu Xiaobo est loin d’être une anomalie. PEN suit de nombreux écrivains, journalistes et blogueurs qui sont en détention en Chine pour leurs travaux depuis 2008, l’année où Pékin a accueilli les jeux olympiques d’été. Pour sécuriser ces jeux olympiques, les dirigeants chinois se sont engagés à protéger et développer les droits essentiels comme la liberté d’expression. Le rapport trouve, cependant, que le nombre d’écrivains en prison a réellement augmenté cette année-là, et qu’il y a eu trois vagues successives de baillonnement des voix dissidentes depuis lors. On a également noté des restrictions plus ciblées, prolongées et bien plus répandues dans les régions tibétaines, la région autonome de Xinjiang Uighur et la région autonome de Mongolie-Intérieure, qui ont fortement réduit les droits de ces personnes à s’exprimer librement.
Mais cette pratique de mise sous silence des principales voix de dissidents afin de décourager la dissémination de la dissidence — « punir quelqu’un à titre d’exemple » selon un proverbe chinois — est moins efficace que jamais. Le chapitre deux, « pression de l’échelon inférieur », détaille le phénomène le plus important pour la liberté d’expression dans la Chine d’aujourd’hui, les voix de plus en plus affirmées de citoyens chinois qui trouvent de nouvelles manières et utilisent de nouveaux outils pour partager leurs expériences et leurs opinions, notamment les opinions sociales et politiques extrêmement critiques. Leur créativité, dans les communications sur les supports numériques plus particulièrement, a fait face à un appareil de « maintien de la stabilité » en expansion qui comprend à la fois une étendue de la censure sur Internet et une surveillance massive de ses utilisateurs. Malgré la prolifération des contrôles, les Chinois ont clairement gagné du terrain dans leur capacité et leur sentiment de liberté d’expression de pensées et idées critiques et ils semblent déterminés à garder et développer ce terrain.
Ceci est également vrai dans le domaine de la littérature, l’objet du troisième et dernier chapitre de ce rapport, « la communauté littéraire ». Comme la carrière et les oeuvres du lauréat du prix Nobel de littérature 2012 Mo Yan le démontrent, les auteurs chinois ont également franchi les frontières du discours — bien que nombre d’entre eux, comme Mo Yan lui-même, marchent sur un fil pour s’assurer qu’ils restent dans les faveurs officielles. Les écrivains qui essayent de créer et de diffuser leurs oeuvres en dehors du système de népotisme du parti peuvent aujourd’hui se tourner vers des éditeurs du secteur privé et ces écrivains et éditeurs rencontrent des audiences avides de lecteurs. Mais la censure directe et indirecte de la littérature persiste, et la liberté créative reste circonscrite par les vieilles orthodoxies et les nouveaux intérêts de puissance. Même certains des écrivains les plus acclamés de Chine ont des oeuvres qu’ils n’ont pu publier chez eux.
En littérature comme dans les médias traditionnels et les nouveaux médias, de nouvelles énergies en faveur de la création cohabitent avec et sont souvent menacées et obscurcies par les anciennes habitudes de répression. Cette répression viole les préceptes fondamentaux des droits de l’homme comme le droit à la liberté d’expression tel que garanti en vertu du droit international et de la propre constitution chinoise. Cela représente un coût humain énorme pour les écrivains, journalistes et blogueurs individuels dont les droits ont été abrogés et pour la santé et la vitalité des médias traditionnels et des nouveaux médias de la Chine ainsi que pour ses oeuvres littéraires.
Créativité contrainte dans la Chine actuelle conclut avec une série de recommandations pour le gouvernement chinois afin de s’assurer qu’il restaure et protège les droits de tous les écrivains, journalistes et blogueurs à exercer leur droit de liberté d’expression ; qu’il respecte le droit des citoyens chinois à une presse libre et indépendante ; qu’il garantisse le droit des écrivains et des éditeurs à publier sans crainte d’interférence ou de représailles du gouvernement ; qu’il fasse observer le droit de tous les citoyens, notamment les membres des minorités ethniques vivant dans les régions ainsi dénommées ‘région sensible’ à exercer leur droit de liberté d’expression ; et qu’il participe plus pleinement et de manière plus ouverte à l’échange international de littérature et d’idées. Il inclut des recommandations supplémentaires aux autres gouvernements pour qu’ils apportent leur soutien à la garantie d’une plus grande liberté d’expression en Chine.
PEN offre ses recommandations qui correspondent à la charte de PEN International, une représentation de notre engagement en faveur de la liberté d’expression et d’un échange international ouvert de la littérature et des idées ; avec le manifeste de Gérone de PEN sur les droits linguistiques, qui établit notre engagement à préserver les langues indigènes ; et la déclaration de PEN sur la liberté numérique, qui établit notre plaidoyer de protection et de développement de la liberté d’expression dans l’âge numérique. Ces documents sont présentés dans une annexe au rapport. Également dans ces annexes se trouve un résumé des lois qui abrogent ou affectent actuellement la liberté d’expression en Chine ; et un calendrier des principaux cas résumés dans le rapport.
Pour PEN International, une organisation dédiée à la défense des écrivains et à la protection du droit de tous à la liberté d’expression, ce qui se passe en Chine, avec un cinquième de la population mondiale et aujourd’hui plus de 500 millions d’utilisateurs Internet, revêt un intérêt primordial et est une préoccupation urgente — ne fût-ce qu’en raison de la détention en prison de quatre membres du centre PEN chinois indépendant et de plus encore d’écrivains, journalistes et blogueurs faisant face à un harcèlement et une surveillance constants. PEN publie ce rapport dans l’intérêt de mettre en lumière les violations tant perturbantes que persistantes du droit de liberté d’expression et les efforts impressionnants de tant d’écrivains et citoyens à réclamer et exercer ce droit. L’axe principal est un simple appel au gouvernement de la République populaire de Chine à respecter et protéger le droit de nos collègues et de tous les citoyens chinois à exercer ce droit le plus fondamental.