Allocutions prononcées lors de la remise du Prix Jacques-Brossard/Centre québécois du P.E.N. international

Membres du CA et Paul Chamberland

Paul Chamberland accompagné de membres du conseil d’administration du Centre québécois du P.E.N. international. Photo : Centre québécois du P.E.N. international.

Paul Chamberland, Georges Leroux et Jean-Claude ravet, deux membres du jury

Paul Chamberland, Georges Leroux et Jean-Claude Ravet, membres du jury. Photo : Centre québécois du P.E.N. international.

Le 19 septembre, lors d’une cérémonie présidée par M. Brian Myles, directeur du Devoir, avait lieu, à la Grande Bibliothèque de BAnQ, la remise du Prix Jacques Brossard du Centre québécois du PEN international. Le premier lauréat de ce prix est M. Paul Chamberland. Gracieusement pourvu grâce à un legs testamentaire de M. Jacques Brossard (1933-2010), juriste, diplomate et écrivain québécois, et administré par le Centre québécois du PEN international, ce prix bisannuel vise à récompenser l’auteur d’une œuvre centrée sur la promotion de l’humanisme et vouée à la défense des valeurs de l’esprit et de la dignité humaine. Le jury était composé de Mme Marie Andrée Lamontagne et de MM. Georges Leroux et Jean-Claude Ravet et il était présidé par le président du Centre québécois du PEN, M. Gaston Bellemare. Le Devoir reproduit ici l’éloge prononcé à cette occasion par M. Georges Leroux, suivi de la réponse du lauréat.

PAUL CHAMBERLAND, ÉCRIVAIN ENGAGÉ

Georges Leroux

Notre choix unanime veut témoigner de l’estime et de l’admiration dans lesquelles nous tenons l’œuvre de Paul Chamberland, et cela depuis longtemps. Inscrite dans la durée, cette œuvre est à la fois celle d’un très grand poète et d’un essayiste et diariste de toute première importance. De cette œuvre, qui compte pas moins de quarante titres, je me contenterai de rappeler la constance de son engagement et la rigueur de la pensée qui la porte. Nous nous réjouissons à l’idée que tous ces livres soient conservés ici dans la collection nationale de BAnQ, où nous accueille son nouveau président-directeur général, M. Jean-Louis Roy.

L’œuvre de Paul Chamberland s’amorce avec la révolution tranquille, dont elle accompagnera les grands mouvements au début des années soixante. À toutes les étapes qui suivront, de Parti Pris et de la contre culture à ses engagements actuels, cette œuvre est demeurée celle d’un homme libre et solidaire. De ses premiers poèmes, Genèses et l’Afficheur hurle,  publiés en 1962 et 1965, jusqu’à ses livres les plus récents – on pense au cycle qui s’amorce avec Politique de la douleur (2004) et se poursuit avec Accueillir la vie nue. Face à l’extrême qui vient (2015) –,  Paul Chamberland n’a cessé d’approfondir une méditation à la fois poétique et philosophique sur les valeurs qui fondent notre commune humanité. Au fil du temps, en effet,  il a toujours lié une écriture poétique ancrée dans la révolte contre la barbarie et un travail d’essayiste voué à la défense de la dignité humaine.

Dans cette œuvre, les notions de survivance, de recommencement devant l’apocalypse anticipée et de révolte contre l’envahissement destructeur de la technologie et du marché ont nourri une pratique d’écrivain unique au Québec. Avec force et détermination, Paul Chamberland présente une démarche de pensée à laquelle il invite ceux qui comme lui résistent à l’effondrement et se consacrent à la défense de l’essentiel. Dans Politique de la douleur, il évoque la résistance à l’anéantissement, et dans son dernier grand livre, Accueillir la vie nue. Face à l’extrême qui vient, cette résistance acquiert une dimension pleinement éthique qui est aujourd’hui l’honneur de la pensée. Le poète s’engage aux côtés des philosophes et des artistes qui, partout dans le monde, luttent à la fois pour le salut de la terre et la solidarité avec les victimes de la mondialisation et de la violence politique. À tous ceux qui cherchent dans l’œcumène d’une terre dévastée et menacée de disparition les ferments d’une renaissance, il offre une figure d’espérance et de courage.

Pour toutes ces raisons, et d’autres encore qui relèvent de la force de son travail d’écrivain, l’œuvre de Paul Chamberland représente un engagement qui suscite l’admiration. C’est avec joie et conviction que le jury du prix Jacques Brossard du Centre québécois du P.E.N. international lui décerne ce prix à l’unanimité.

ALLOCUTION DU LAURÉAT

Paul Chamberland

L’honneur qu’on me fait en m’attribuant le prix Jacques-Brossard du Centre québécois du P.E.N. international me touche grandement. J’en remercie le conseil d’administration du P.E.N. Québec et son président, monsieur Gaston Bellemare, ainsi que les membres du jury. Avec la création d’un tel prix, Jacques Brossard savait pertinemment qu’il en inscrivait la signification et la portée dans le droit fil de la mission du PEN international, depuis si longtemps combatif dans la défense des écrivains et des journalistes persécutés, hommes ou femmes. La feuille de route de ses interventions donne à voir, et ce plus que jamais, l’immensité de la tâche.

Que ce soit grâce aux ressources de la fiction ou dans l’expression directe de la pensée, tant d’écrivains, de par le monde, osent affronter, pour ainsi dire à mains nues, des pouvoirs liberticides ou carrément meurtriers. Ces hommes et ces femmes sont conscients de le faire en risquant de perdre leur liberté ou leur vie, et tel est bien le sort que connaît un certain nombre dans leurs rangs.

Celui ou celle qui écrit et publie n’a d’autre pouvoir que celui, tout personnel, d’une parole libre, responsable et courageuse. Du coup il maintient ouvert le champ d’exercice de la légitime expression d’opinion de ses concitoyens. Voilà ce que redoutent ces pouvoirs qui font bon marché de la dignité humaine.

La notion d’«humanisme», on le sait, prête à controverse. De nos jours, le cours désordonné du monde humain nous incite toutefois à en recueillir ce que, selon une longue tradition, son sens a d’essentiel et de décisif. Depuis de nombreuses années, je suis hanté et bouleversé par ce que j’ai appelé une massive avancée de l’inhumain, d’où mon acharnement à en traquer les manifestations, notamment les plus insidieuses.

Il m’est arrivé souvent de me sentir seul dans l’exécution de cette tâche de la pensée. Mais un tel sentiment a toujours été amplement et fortement compensé. Car je reprends sans cesse courage à chaque fois que je pense à tous ceux et toutes celles qui, ici et maintenant, soit par la parole ou l’écrit, soit par diverses modalités d’action, ne reculent pas devant l’exigence de faire face aux dangers qui nous menacent tous dans notre humanité. Ici, comme partout dans le monde, je suis convaincu qu’est en train d’émerger une communauté de tels hommes et de telles femmes. Il m’arrive de me la figurer comme un essaim lumière. À travers nos «sombres temps», pour reprendre l’expression de Hannah Arendt, je garde confiance.

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