Nous apprenons avec consternation, à l’Académie des lettres du Québec, au Centre québécois du P.E.N. international, partout où on aime lire au Québec, la disparition annoncée du programme d’appui aux études québécoises.
D’expérience de décennies aux Affaires étrangères du Canada, dont douze ans à Paris mais aussi ailleurs dans le monde, je ne suis pas le seul à considérer que les programmes d’appui, d’encouragement et d’encadrement des chercheurs, des départements, des facultés et des universités qui ont souhaité faire avancer leur curiosité sur ce que nous sommes, ces programmes sont de loin les plus économiques et les meilleurs investissements dans l’avenir de notre image, de notre réalité.
Déjà en mai 2012, je faisais ces quelques paragraphes sur l’ablation violente du programme d’études canadiennes perpétrée par un ministère des Affaires étrangères fédéral que je ne reconnaissais plus. Voyez donc ma consternation de devoir, si peu de temps après, écrire une lettre semblable, mais où les mots « Canada » et « canadien » devraient être remplacés par « Québec » et « québécois ». Qu’une si vilaine blessure mine notre corps culturel est un outrage.
Voici quelques extraits de ce que je vous écrivais le 5 mai 2012 : « Je suis outré d’apprendre que le gouvernement canadien a décidé d’abandonner le programme d’études canadiennes à l’étranger. […] Il s’agit de planter, à un coût minuscule, dans des universités étrangères, des chaires d’études canadiennes ou d’accompagner des chercheurs et savants, des doctorants et des étudiants ordinaires dans des études sur un aspect ou l’autre de la réalité canadienne. Ce tremplin de diffusion est très efficace et possède un effet multiplicateur inouï. Le gouvernement québécois a, en splendide complémentarité, aussi su exploiter cette mine formidable de bonne volonté et de connaissances sur le Québec. Il faut être nul, oui, nul, au ministère des Affaires étrangères pour laisser glisser dans la poubelle cette mince enveloppe […].
Longtemps, j’ai eu le privilège de participer au renouvellement d’une politique de relations culturelles internationales qui répondait à une lecture éclairée de nos intérêts en tant que pays, en tant que culture — j’allais dire en tant que cultures. Parmi ces efforts parfois malhabiles, souvent sous-financés, mais très, très souvent couronnés de succès, il y avait toujours le programme de relations universitaires, le programme d’études canadiennes, qui brillait de sa désarmante constance, de son incroyable ancrage dans la vie universitaire et intellectuelle partout à travers le monde.
Ces professeurs d’université de tous poils, de toutes spécialités, animés de pulsions surprenantes et d’exotiques curiosités débusquaient et décrivaient chez nous des réalités et des mensonges, des questionnements et des hypothèses qu’ils passaient gratuitement, généreusement à leurs étudiants. […] On allait bien au-delà des thèmes-locomotives de “ L’hiver dans le roman québécois des années trente ” ou de “ La solitude chez Anne Hébert ”.
Je suis bien placé pour dire que le gouvernement canadien a rarement consacré à la projection à l’étranger de notre pensée et de notre art les ressources nécessaires. Mais en arriver à briser silencieusement ce miroir qui parle de nous, choisir de faire taire ceux qui dorénavant murmureront à voix basse qu’ils nous connaissent et qu’ils nous aiment quand même, c’est d’une petitesse et d’une ingratitude qui me blessent, qui nous heurtent tous. »
Émile Martel,
ancien ministre (affaires culturelles) à l’Ambassade du Canada à Paris, Président de l’Académie des lettres du Québec et du Centre québécois du P.E.N. international.