Le bon goût et la mort

Le message du PEN international, sa cause et sa raison d’être, c’est de défendre la liberté d’expression. Alors quand on se fait tuer à la mitraillette parce qu’on fait partie de la rédaction d’un journal satirique, il est normal et même nécessaire que PEN proteste. L’humour de Charlie Hebdo n’est pas du meilleur goût ? Les valeurs iconoclastes que la publication véhicule déplaisent ? Les victimes de cet humour corrosif en sont contrariées ? Les tics et manies des religions, des religieux, des athées, des sportifs ou des alpinistes sont ridiculisés ? Faut-il tuer les dessinateurs pour autant?

Tuer un journaliste à cause de ce qu’il ou elle publie, c’est tuer un journaliste. Je sens une malsaine distinction entre les caricaturistes iconoclastes et irrespectueux et les autres journalistes. Les auteurs de ces rigolades parfois douteuses sont morts ; c’était chez Charlie Hebdo, ç’aurait pu être au Monde (Plantu ou Gorce), ou au Devoir (Garnotte) si deux types encagoulés allaient les descendre d’une rafale à la rédaction de leur journal.  Les assassinats à Charlie Hebdo sont monstrueux et ceux qui ont survécu à ce massacre, parce qu’ils représentent la vie malgré la mort, parce qu’ils ont à vivre l’espèce de honte de n’avoir pas été là lors de l’hécatombe, ceux-là méritent l’attention qu’on leur porte.

Parler d’islamophobie en parlant des caricatures de Charlie Hebdo, c’est choisir une de leurs cibles parmi tant d’autres, c’est oublier toutes les autres supposées phobies qu’elles ont généreusement manifestées en se riant des chrétiens et des juifs, des musulmans et de tous les groupes qui ont avec le temps été infestés par l’intolérance, par l’exclusion, par le dogmatisme.

Certes, les Français ont souvent ce petit complexe de supériorité qui fait qu’ils semblent s’attribuer la paternité des droits de la personne, un voisinage avec la grandeur d’âme et une parenté intime avec la perfection. De cela aussi Cabu et les autres se gaussaient vastement.

Je sais que ceux qui se sont retirés du Gala du American PEN ont tort et flirtent avec une francophobie qui rappelle, ils vont me détester de le dire, cette époque des «Freedom Fries» qu’on servait pour n’avoir pas à manger des «French Fries» lors de la guerre d’Irak. Ces fritures sont indigestes, cette distinction odieuse entre le bon goût du message et la raison de vivre du messager, me laisse pantois.

Salman Rushdie, qui a présidé le American PEN, comme je préside le PEN québécois et comme Philip Slayton préside le PEN Canada et John Ralston Saul, qui est le président international du PEN, les milliers d’écrivains membres du PEN international (qui va d’ailleurs se réunir en congrès international à Québec en octobre prochain), nous souhaitons que l’hommage à Charlie Hebdo ait lieu, que ceux qui ont été massacrés vivent dans notre mémoire même s’ils n’ont pas toujours été drôles.

Émile Martel
Président, Centre québécois du P.E.N. international

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