Depuis le début du mois, le propriétaire Gui Minhai, le directeur général Lu Bo, le directeur de la boutique Lin Rongji et un membre du personnel Zhang Zhiping, de la maison d’édition Sage Communications, ont mystérieusement disparu. Tous les quatre étant connus pour avoir publié des livres critiques envers le régime chinois, les inquiétudes battent leur plein. L’entourage et les médias soupçonnent le régime d’avoir incarcéré, dans l’ombre, ces dissidents.
Voilà de quoi donner raison aux membres du PEN Center America — structure qui dépend du PEN World et travaille au rayonnement de la littérature à l’international et la défense de la liberté d’expression. Une quarantaine d’entre eux ont en effet adressé une lettre le 18 septembre dernier au président Chinois Xi Jinping dénonçant la « détérioration de la liberté d’expression » dans le pays ». Ils pointaient du doigt « au moins 47 écrivains et journalistes actuellement emprisonnés en Chine ». Désormais, quatre éditeurs s’ajouteraient à cette liste, bien loin des droits de l’homme. Les étranges disparitions de ces quatre hommes — relatées par Radio Free Asia — seraient pratiquement toutes advenues après un voyage. Gui Minhai, le propriétaire de Sage communication et citoyen suédois, a été vu pour la dernière fois dans sa maison de vacances en Thaïlande. Pour les deux autres, ils ont disparu depuis leurs visites respectives auprès de leurs familles dans différentes contrées de Chine.
Lin Rongji n’a manifestement plus donné de nouvelles à sa famille du jour au lendemain. « Il avait l’habitude de dormir à la librairie beaucoup, donc sa femme ne savait pas qu’il avait disparu », a expliqué, à RFA, un actionnaire de la maison. Deux d’entre eux auraient cependant téléphoné à leur famille vendredi dernier pour les rassurer. « Ils ont dit qu’ils allaient bien, mais ils ne vont pas bien », a précisé Li. « Ils ont seulement dit à leurs proches qu’ils reviendraient un peu plus tard que prévu, et leur ont dit de ne pas s’inquiéter. Mais ils n’ont pas répondu à toutes les questions sur l’endroit où ils se trouvaient ou sur ce qu’ils faisaient. »
Les quatre hommes faisaient souvent polémiques pour publier des ouvrages « sensationnels et salaces sur la vie privée des hauts dirigeants chinois », précise The Guardian. Ils avaient par exemple édité The Collapse of Xi Jinping in 2017 et un livre prétendûment écrit par l’ex-maîtresse de l’ancien chef de la sécurité de la Chine Zhou Yongkang. Une censure chinoise de plus en plus “omniprésente” Maya Wang, chercheuse pour Human Rights Watch à Hong Kong, n’a pas caché son inquiétude : « Si leur arrestation est confirmée, ce serait une affaire supplémentaire impliquant des dissidents chinois et les autorités thaïlandaises. Actuellement, un membre du parti démocratique chinois banni, Dong Guangping, a été arrêté alors qu’il demandait l’asile politique et a été accusé d’avoir un passeport expiré. »
« Cet incident est très préoccupant, car il arrive juste après la condamnation, l’année dernière, à 10 ans de prison pour l’éditeur Yiu Manting à Hong Kong, et le procès, la semaine dernière, des journalistes Hongkongais Wang Jianmin et Guo ZhongXiao », a-t-elle ajouté.
Bien qu’aucune information impliquant le gouvernement chinois ne soit pour l’instant vérifiée, le milieu de l’édition chinois n’a que très peu de doute sur la thèse d’une arrestation, avec la censure en trame de fond. Paul Tang, —propriétaire d’une libraire de gauche qui vend les livres de Sage communication — a expliqué ses craintes au Time. « [Un de nos employés] a travaillé là-bas pendant deux jours, et quand elle est revenue le troisième jour, la maison été fermée, avec un préavis avec pour excuses des rénovations urgentes. Nous avons essayé de contacter le propriétaire, en vain ».
Pour ce libraire, il ne fait « aucun doute » que les quatre éditeurs subissent une punition de la part du gouvernement. Un membre de l’industrie du livre chinois, qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles, a également abondé dans le sens d’une arrestation auprès de The Guardian. Il a expliqué que la maison d’édition était dans le viseur des hauts dirigeants pour leurs livres polémiques. Mais pour cette source, ce n’est pas une exception : la situation pour les éditeurs chinois deviendrait de plus en plus compliquée. Pays qui a pourtant rejoint le 16 octobre dernier l’Union Internationale des Éditeurs, association qui consacre la liberté de publier.
« Nous avions l’habitude d’être bien à Hong Kong. Désormais, nous recevons des appels menaçants de personnes qui prétendent faire partie des autorités du pays, nous demandant de cesser certaines publications. L’autocensure devient de plus en plus omniprésente », a alors confié la source.
Julie Torterolo – 12.11.2015