L’Impunité règne – les écrivains résistent : Liste annuelle des cas de PEN International

21 mars : PEN International publiait L’Impunité règne – les écrivains résistent, sa liste annuelle des cas 2022 (Case List) qui recense 115 cas d’écrivains faisant face, à travers le monde, au harcèlement, aux arrestations, à la violence et même à la mort.

« Les écrivains présentés dans ce rapport ont mis leur vie en première ligne et ont fait d’énormes sacrifices, risquant leur sécurité et leur liberté, pour obliger les dirigeants à rendre des comptes. Ils nous ont incités à continuer à nous battre pour sauvegarder le droit à la liberté d’expression. Ils nous ont mis au défi de visualiser un monde différent, meilleur. Ils nous ont permis, ainsi qu’aux nouvelles générations d’écrivains et de lecteurs –– alors que nous reflétons les 101 dernières années de notre travail –– de protéger les écrivains à travers le monde et de considérer comment nos voix et nos actions ont le pouvoir de façonner un avenir où les droits de la personne sont une réalité pour tous. » Ma Thida, présidente du Comité des écrivains en prison de PEN International.

Analyse globale

Selon les recherches de PEN International, tout au long de 2022, dans toutes les régions, des écrivains ont été arrêtés, détenus et souvent emprisonnés pour des infractions formulées de manière vague et liées à la sécurité nationale, notamment à Bahreïn, au Bangladesh, au Bélarus, en Chine, en Inde, en Irak, en Iran, au Koweït, au Maroc, au Myanmar, à Oman, en Arabie saoudite, en Espagne, au Sri Lanka, en Türkiye, aux Émirats arabes unis, au Royaume-Uni et au Vietnam.

La guerre et les conflits à travers le monde ont posé des risques extrêmes pour ceux qui les ont suivis ou couverts, en particulier en Ukraine, en Palestine et en Éthiopie.

Certains pays ont vu des écrivains contraints de fuir la persécution et de trouver d’autres « voies d’accès » à la sécurité, qui leur ont été souvent cruellement refusées, comme au Myanmar et en Afghanistan. Pendant ce temps, une nouvelle forme de répression sous la forme d’expulsion forcée et d’exil d’écrivains, a été observée dans plusieurs pays, dont Cuba et le Nicaragua.

En Italie, en Égypte, en Malaisie, au Pérou et en Türkiye, la diffamation et le crime de lèse-majesté ont été utilisés pour harceler ou faire taire les écrivains.

Les États du continent américain ont continué de faire face à un niveau élevé de violence, le Mexique restant le pays le plus meurtrier de la région pour les journalistes et le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes en dehors des zones de guerre actives.

Les femmes écrivains ont continué d’être réduites au silence de manière disproportionnée : la journaliste turque Sedef Kabaş, condamnée à 28 mois de prison avec sursis à la suite de commentaires critiques tenus à l’égard du président Erdoğan; la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée par l’armée israélienne alors qu’elle faisait un reportage pour le compte d’Al Jazeera en Cisjordanie occupée; l’écrivaine, dramaturge et cinéaste zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga, condamnée à une peine de six mois de prison suspendue pendant cinq ans, à la suite d’une persécution judiciaire endurée depuis juillet 2020; l’éminente anthropologue ouïghoure Rahile Dawut, disparue depuis 2017, et la journaliste nicaraguayenne argentine Gabriela Selser, harcelée par les autorités et les paramilitaires à cause de ses écrits, pour n’en citer que quelques-unes.

L’Afrique

En 2022, les pays africains ont continué à restreindre la liberté d’expression, les autorités ciblant les voix critiques.

Au Rwanda, les dissidents du numérique ont continué à faire l’objet de répression, notamment d’arrestations et de détentions arbitraires, de poursuites fondées sur de fausses accusations et de disparitions forcées. PEN International a continué à faire campagne au nom du poète Innocent Bahati, dont le sort est resté inconnu depuis sa disparition en 2020.

Depuis plus de deux décennies, les autorités en Érythrée continuent d’ignorer les pressions régionales et internationales visant à clarifier le sort de 12 écrivains et journalistes arbitrairement arrêtés et détenus au secret depuis 2001. Le régime autoritaire a continué de violer les droits des Érythréens en toute impunité, éliminant notamment la presse libre.

L’autocensure des écrivains, journalistes et voix critiques est devenue courante dans des pays comme le Burundi, l’Ouganda, l’Éthiopie et le Cameroun, entre autres. L’année 2022 a également vu la répression contre la liberté d’expression s’intensifier dans des pays considérés comme relativement libres, notamment le Sénégal, le Ghana et le Botswana.

Les Amériques

Comme le documente PEN International, 2022 a été l’année la plus meurtrière pour la presse dans les Amériques depuis 24 ans.

Près de la moitié des 68 journalistes assassinés à travers le monde en 2022 ont été tués dans les Amériques, dont : 13 au Mexique, 7 en Haïti, 2 au Brésil, 2 en Colombie, 2 au Honduras, 1 au Chili, 1 en Équateur, 1 en aux États-Unis, 1 au Guatemala et 1 au Paraguay.

À Cuba, neuf artistes ont été détenus et 15 contraints à l’exil en 2022. Deux artistes indépendants majeurs, Luis Manuel Otero Alcántara et Maykel Osorbo, ont été condamnés à des peines de prison injustes de cinq et neuf ans.

Au Nicaragua, au moins 703 cas de violations de la liberté de la presse ont été documentés, l’usage abusif du pouvoir de l’État (498 cas), les agressions et attaques (159) et les discours stigmatisants (15) étant les principales violations contre les journalistes et les médias. Le 15 février 2022, le Parlement nicaraguayen a fermé le Centre PEN Nicaragua. Quatorze journalistes ou travailleurs des médias étaient emprisonnés au moment de la rédaction du présent rapport.

Au Mexique, le cycle de l’impunité s’est poursuivi avec des enlèvements et des attaques meurtrières contre des reporters, notamment le meurtre des journalistes Ciro Gómez Leyva, Antonio de la Cruz et Lourdes Maldonado López, en relation avec leur travail.

L’Asie-Pacifique

En 2022, la liberté d’expression était de plus en plus menacée dans un grand nombre de pays d’Asie/Pacifique. La Chine (RPC) a vu de nombreux écrivains, journalistes, universitaires et intellectuels publics condamnés à de longues peines de prison pour le seul exercice pacifique de leur droit à la liberté d’expression, notamment des membres du Centre PEN chinois indépendant Gui Minhai, Yang Hengjun, Qin Yongmin et Zhang Guiqi, entre autres. À Hong Kong, l’écrivain et éditeur Jimmy Lai, qui est détenu sans interruption depuis décembre 2020, fait face à plusieurs accusations qui pourraient entraîner une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité s’il est reconnu coupable.

Au Myanmar, l’écrivain Ko Jimmy, arrêté quelques jours après le coup d’État de février 2021 qu’il dénonçait sur les réseaux sociaux, a fait partie des quatre militants exécutés par la junte militaire à l’issue d’un procès inique. Premières exécutions au Myanmar depuis plus de 30 ans, leur mort démontre de manière accablante la volonté de la junte militaire d’utiliser tous les moyens disponibles pour terroriser le peuple du Myanmar.

Les restrictions répressives imposées par les talibans en Afghanistan ont entraîné l’effacement systématique des femmes et des filles de la vie publique, ainsi que la mise au silence des médias indépendants. Des écrivains, poètes et journalistes afghans à risque ont demandé l’aide de PEN International alors qu’ils vivaient dans la précarité dans des pays voisins, nombre d’entre eux risquant d’être refoulés ou exploités en raison de leur statut de résident illégal. PEN International continue de faire campagne pour de meilleures « voies d’accès » à la sécurité.

L’Europe et Asie centrale

En Europe et en Asie centrale, l’année 2022 a été marquée par la guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. La sécurité des écrivains et des journalistes en Ukraine a soulevé beaucoup d’inquiétude; au moins 13 journalistes ont été tués alors qu’ils couvraient le conflit. En Crimée occupée et en Fédération de Russie, des journalistes citoyens et des militants des droits de la personne sont restés emprisonnés pour des motifs politiques, notamment le citoyen journaliste ukrainien Server Mustafayev.

Pendant ce temps, en Biélorussie, la répression contre la langue et la littérature biélorusses s’est poursuivie, avec des maisons d’édition indépendantes perquisitionnées pour avoir fait la promotion de livres d’écrivains biélorusses et en langue biélorusse, et leurs activités suspendues sous des prétextes fallacieux.

40 journalistes étaient derrière les barreaux en Türkiye et 26 en Biélorussie au 1er décembre 2022 –– ces pays représentant respectivement les quatrième et cinquième plus grandes prisons au monde pour les journalistes.

Comme l’a documenté PEN International, en Türkiye, 24 journalistes et un travailleur des médias kurdes ont été arrêtés lors de raids séparés à la suite d’opérations majeures menées contre des journalistes dans le sud-est à prédominance kurde. À ce jour, les autorités n’ont toujours pas respecté les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme demandant la libération immédiate de l’éditeur Osman Kavala et de l’écrivain et homme politique d’opposition Selahattin Demirtaş.

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Les gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont continué à éradiquer la liberté d’expression par des lois draconiennes, la censure, des exécutions, la détention arbitraire de voix critiques et en écrasant les manifestations pacifiques.

En Iran, l’écrivain Baktash Abtin est décédé en détention en raison d’une négligence médicale, après que les autorités lui aient refusé des soins médicaux d’urgence à la suite de sa deuxième infection à la COVID-19. En Iran également, les autorités ont poursuivi leur persécution incessante des communautés minoritaires, telles que les communautés kurde et baha’ie. Les forces de sécurité iraniennes ont arrêté des membres éminents de la communauté baha’ie, dont la poète Mahvash Sabet, condamnée à 10 ans de prison à l’issue d’un procès inique.

En Égypte, PEN International a documenté plusieurs cas d’écrivains emprisonnés qui ont été soumis à la torture et à de mauvais traitements et qui ont été condamnés à de lourdes peines de prison à la suite de procès iniques, notamment l’écrivain anglo-égyptien Alaa Abd El-Fattah et les poètes égyptiens Galal El-Behairy et Ahmed Douma.

En Israël, les autorités ont maintenu une censure stricte du contenu palestinien sur les réseaux sociaux face à des attaques israéliennes de plus en plus nombreuses. En août, l’armée israélienne a fait une descente dans les bureaux de sept organisations palestiniennes indépendantes majeures, a confisqué des documents et du matériel et a ordonné la fermeture des bureaux.

D’autres autorités de la région, principalement à Bahreïn, en Irak, au Koweït, aux Émirats arabes unis, à Oman et en Arabie saoudite, ont continué d’élargir la censure en ligne et d’utiliser de vagues accusations pour faire taire les critiques, notamment des écrivains, des militants et des journalistes.

PARTICIPEZ AU LANCEMENT

Pour marquer le lancement L’Impunité règne – les écrivains résistent, PEN International a organisé un événement en ligne en direct avec quatre panélistes, qui parlaient des problèmes et des écrivains présentés dans la liste annuelle des cas 2022 : Ma Thida, présidente du Comité des écrivains en prison de PEN International et ancienne présidente de PEN Myanmar, le philosophe, journaliste et président de PEN Ukraine, Volodymyr Yermolenko, la poétesse et romancière nicaraguayenne Gioconda Belli et la romancière et militante égyptienne Ahdaf Soueif. L’événement était diffusé en direct aujourd’hui à 13h GMT, sur la page Facebook de PEN International. Veuillez cliquer ici pour entendre l’enregistrement.

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