RÉSIDENTE 2007 : JAN J. DOMINIQUE, ORIGINAIRE D’HAÏTI

Née en Haïti, Jan J. Dominique a étudié en Haïti et au Québec. Elle a enseigné à l’université et dans plusieurs collèges haïtiens, écrit des romans et des nouvelles et travaillé à Radio Haïti, station dirigée par son père, Jean Léopold Dominique. Après l’assassinat de son père en 2000, elle a continué à diriger la radio. Forcée de fermer pour des raisons de sécurité, elle quitte Haïti en 2003 et s’installe à Montréal, ou elle continue sa carrière d’écrivaine.

Quelques notes sur une résidence d’écriture à Québec
par Jan J. Dominique

D’abord, Georges Anglade me parle de cette résidence organisée dans le cadre du réseau d’accueil d’écrivains en exil au Canada, mis en place par le Centre québécois du P.E.N. international, avec la collaboration de L’Institut Canadien de Québec. Le programme me plaît, mais j’hésite à poser ma candidature. Le mot exil, peut-être.

Au fond de moi, l’idée jamais exprimée, mais toujours présente, d’être privilégiée par rapport à l’autre, celui à qui je pense sans cesse, mon marassa des lointains pays. Ce jumeau vit en Somalie ou en Irak, en Tchétchénie ou au Brésil, où la liberté est souvent bafouée. Il est aussi de mon pays où la conquête de cette liberté, particulièrement la liberté d’expression, semble si dérisoire, face aux conditions d’existence difficiles et à la précarité du quotidien. Je pense à cet autre qui ne peut écrire, qui ne doit pas écrire, qui souffre de ne plus pouvoir le faire parce que la lutte pour la survie le lui interdit. Je reviens à ces pages sur lesquelles je travaille et je finis par admettre qu’en dépit de mes privilèges, ce programme me ressemble. L’exil est au cœur de Mémoire errante.

“ Je suis partie, portée par un mensonge rassurant. Pour quelques jours, tout au plus quelques semaines. Je niais l’idée d’une éventuelle durée. Mémoire de sa voix s’exclamant : « L’exil est impie ! » Je ne partais pas en exil. Cependant, graduellement, je commence à en repérer les indices et je tente de désamorcer son pouvoir destructeur. L’exil au fond ne doit pas être si terrifiant.

Une rencontre avec Émile Martel, le président du P.E.N. finit de me convaincre. Ma candidature est acceptée. Je dois m’habituer aux mots « auteure en exil ».

Trois mois de résidence à Québec. Novembre 2007- janvier 2008. Sans programme contraignant. Une activité principale : jeter les bases d’un nouveau roman. Une promesse : laisser un court texte à l’Institut Canadien au terme du séjour, toujours sans la moindre contrainte.

D’abord faire le tour des univers : le dedans, le confort du magnifique appartement, la découverte de la solitude, l’écriture ; le dehors, la ville, Québec comme un aimant, le plaisir des rencontres et des échanges, malgré la crainte parfois de ne pas savoir communiquer mon amour des mots ;

« L’exil, c’est d’abord apprendre le nom d’une ville. Se tromper sans cesse et se répéter le nom de cet endroit que pourtant notre corps habite. À dix-sept ans, je suis partie d’Haïti pour découvrir le monde. Installée au Québec, j’ai, sans la moindre hésitation, intériorisé le nom de Montréal. Montréal, 29 septembre 1970. Ma petite maman…  Je ne me suis pas trompée une fois.….. Trente ans plus tard, j’ai biffé trois fois le nom de Port-au-Prince tout en haut d’une page blanche que j’ai choisie pour lui écrire. Ma petite mère. Elle ne connaît pas les courriels si pratiques. Il y a trente ans, je n’étais pas en exil. En ce moment, après tous ces mois, je continue à me tromper. Port-au-Prince, le… »

Être en résidence m’a surtout donné la possibilité de me consacrer à l’écriture, sans souci ni interruption. Dans la vie quotidienne, il existe tant d’interventions, dont certaines très agréables : échanges avec un conjoint, un enfant, la famille et les amis à rencontrer ; cependant ces présences, qui contribuent à notre bonheur, grignotent une part importante de notre temps. J’avais prévu des tâches à réaliser durant la première semaine. J’avais terminé en deux jours. J’ai pu ainsi découvrir en moi une capacité de création que je ne soupçonnais pas. J’ai pu travailler simultanément trois textes. Le polissage de Mémoire errante, les premières corrections de L’écho des voix parallèles, le roman pour lequel j’ai obtenu la bourse à la création du Conseil des arts du Canada, et enfin les premières bases de mon nouveau roman, L’Amérique, c’est le jardin de mon père.

Le deuxième intérêt de ce programme : rencontrer des gens, lecteurs ou futurs lecteurs, mais aussi d’autres écrivains, des étudiants, des universitaires, divers membres de l’institution littéraire québécoise.

Avant tout, signaler la qualité de l’accueil et de la prise en charge. En plus de la disponibilité et de la générosité des membres de l’Institut canadien et des bibliothèques du réseau, une professionnelle a été chargée de planifier et préparer les rencontres : prises de contact avec écoles, cegep, université, avec des associations, des groupes de lecture, qui auraient été difficiles à réaliser par quelqu’un ne connaissant pas Québec.

Durant ces trois mois, j’ai pu rencontrer des étudiants et enseignants de l’Université Laval, des élèves de 6e année de l’école St-Jean Baptiste, des élèves du secondaire de l’école Perrault, un groupe de lecture de l’Ile d’Orléans, autour de mon travail d’écrivaine mais également sur d’autres thèmes. Dans le réseau des bibliothèques, plusieurs rencontres ont été organisées, jusqu’à la dernière, l’inauguration du Cercle Littéraire Gabriel Garcia Marquez, dont j’ai été la première invitée. Parallèlement, j’ai discuté avec des étudiants en journalisme de l’université Laval, un groupe d’étudiants du Cegep Limoilou, ainsi qu’un public plus large, après la projection du film L’Agronome (Le film L’Agronome de Jonathan Demme est un documentaire consacré à Jean Léopold Dominique.), de la pratique du journalisme en Haïti et de questions liées à la liberté d’expression.

Les échanges et les interventions ont toujours été passionnants, mais j’ai surtout été impressionnée par l’intérêt manifesté par les jeunes de 6e année envers le travail d’un écrivain et par ceux du secondaire pour la liberté d’expression. Un élève de l’école primaire St-Jean Baptiste m’a interrogée sur mes relations avec les personnages de mes romans, un autre sur la manière dont se construit un roman. Un élève de l’école secondaire Perrault m’a posé une question sur la liberté de religion en Haïti et la pratique du vodou. Au Cegep de Limoilou, parmi les étudiants ayant vu le film L’Agronome plusieurs avaient des informations récentes sur l’actualité politique haïtienne.

Malgré les échanges enrichissants, ces rencontres n’ont occupé qu’une petite partie de mon temps. Le travail d’écriture a représenté l’essentiel et le bonheur de cette résidence.

Jan J. Dominique

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