RÉSIDENCE 2009: FÉLICIA MIHALI, ORIGINAIRE DE LA ROUMANIE.

Écrivaine, journaliste et professeure d’origine roumaine, Felicia Mihali vit présentement à Montréal. Après des études en français, en chinois et en néerlandais, elle s’est spécialisée en littérature postcoloniale à l’Université de Montréal, où elle a également étudié l’histoire de l’art et la littérature anglaise. Elle est l’auteure de plusieurs romans dont Le pays du fromage, Luc, le Chinois et moi, La reine et le soldat, Sweet, Sweet China, Dina et Confession pour un ordinateur. Son dernier livre, paru en 2012, s’intitule The Darling of Kandahar.

La résidence d’écrivain — luxe ou nécessité?
Par Felicia Mihali

J’ai toujours considéré les résidences d’écrivain comme un luxe (inutile, donc), une excuse pour ceux qui n’y ont pas accès de ne pas se mettre au travail. En tant qu’ancienne journaliste, ayant travaillé pour un journal et une équipe impitoyable, la production du texte n’a jamais été conditionnée, dans mon cas, par des conditions privilégiées. Souvent, l’écriture n’est ni plaisir, ni inspiration, ni loisir : elle est une obligation comme celle de se laver et manger chaque jour. On écrit, faute de ne pas avoir le choix.

Lorsque la proposition de la résidence d’écrivain en exil m’est venue par l’intermédiaire du poète Émile Martel, je me suis posé la question, et je l’ai posée au généreux président du P.E.N. Québec, à savoir si je devais l’accepter. Premièrement, je suis citoyenne canadienne depuis quelques années, ayant quitté un pays qui n’était plus une dictature après la chute du régime communiste de Ceausescu. Deuxièmement, mes projets vont bon train chez moi, dans mon petit bureau ombragé par les branches d’un érable se disputant le soleil avec un vieux sapin : mon conjoint, amoureux de verdure et têtu en plus, ne veut renoncer à aucun des deux arbres. Finalement, je me suis dit que si je ne suis pas une écrivaine en exil physique, je le suis dans un métaphysique, celui qui met en discussion notre relation d’amour avec notre ancien pays et notre ancienne identité. Un écrivain ne quitte pas un pays uniquement lorsque sa vie est menacée; il part lorsque ses idées sont en danger.

Finalement, dès que j’ai mis les pieds dans la résidence de la rue Saint-Stanislas, pas loin du château Frontenac, de la rue Saint-Jean, du Marché Petit-Champlain, du fleuve Saint-Laurent, j’ai oublié les reproches que j’adressais aux écrivains paresseux.

Le 1er décembre, je suis arrivée à Québec avec un projet nommé La Bien-aimée de Kandahar, inspiré par un article lu en 2007 dans le mensuel canadien Maclean’s. Le livre devait porter sur la rencontre, à travers Internet et les médias, d’une « cover-girl » d’origine roumaine et d’un soldat canadien, d’origine grecque. L’arrière-plan du roman était la ville de Montréal, ville fondée par une quarantaine de Français et Françaises au XVII siècle. Toutefois, le séjour dans la haute ville de Québec et la lecture des livres découverts dans la petite bibliothèque de la résidence ont changé ma vision initiale sur le rapport passé présent et sur le lien que les immigrants, de tous les temps et toutes les origines, établissent avec le pays d’accueil. À la lumière des lectures sur les voyages de Champlain, sur la vie des filles du roi, sur l’origine et le fonctionnement de l’Ordre du Bon Temps, les enjeux de mon roman ont beaucoup changé. Alors que l’histoire des deux jeunes canadiens, Irina et Chris, n’a pas changé, le canevas historique n’est plus Montréal, mais Kébec, ce lieu où des colons comme l’apothicaire Louis Hébert ont mis pied à terre pour s’exercer au métier de jardinier. D’une association arbitraire de biographies, en partant de Paul Maisonneuve, Jeanne Mance ou Pierre Puisseau jusqu’à Irina et Chris, dernièrement, La bien-aimée de Kandahar met l’accent sur la spécificité de chaque expérience individuelle et son apport à l’élaboration de la nouvelle identité canadienne.

L’accueil offert par les membres de l’Institut canadien ainsi que la résidence elle-même, a été pour moi un grand privilège, car un écrivain n’est pas souvent gâté dans sa vie. Les écrivains sont habitués à l’idée d’être des marginaux dont la voix n’est jamais écoutée, les premiers à souffrir lors des coupures de budget, et les derniers à faire la grève pour réclamer quoi que ce soit. Ils sont rarement confrontés à une situation où on leur montre que leur travail compte. Pour moi, la résidence a été une expérience qui m’a réconciliée avec mon métier, où j’ai regagné confiance dans le destin des livres en général, et de la littérature en particulier. J’espère que mon œuvre contribue, à sa manière, à la mission que PEN international s’est donné et qui ne se réduit pas uniquement à la défense des écrivains réduits au silence pour leurs idées : son but est aussi celui de rassembler les écrivains de partout dans une communauté qui annule les frontières nationales et linguistiques, et de transformer la parole dans une arme, au besoin.

Felicia Mihali

Plus de détails sur cette résidence sur le site de la Maison de la littérature.
Visitez le site web de l’écrivaine.

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