Cher Kakwenza,
Lorsque je lis ce qui vous est arrivé, ce qui continue à vous arriver, je suis horrifié. Votre faute a été d’écrire. Vous alignez des mots sur un écran, rien de plus. En vous servant des outils de la fiction, vous avez utilisé les mots de votre roman The Greedy Barbarian pour mettre en évidence la corruption qui empoisonne votre pays. Il n’y a rien de mal à cela. La corruption n’est bonne pour personne, pas même pour ceux qui en profitent. À court terme, ils s’en sortent bien, mais leur âme est empoisonnée. Et cette situation aux dépens des autres ne dure jamais. La corruption corrompt toujours sa propre survie, et il faut en payer le prix. Pourquoi alors être corrompu ? Une société civile qui fonctionne bien et qui respecte chaque citoyen est bénéfique pour tous.
Vous écrivez The Greedy Barbarian. Et ensuite? Le 13 avril 2020, vous êtes arrêté par des officiers des services de renseignement militaire ougandais. Bien sûr, vous êtes déjà au courant de tout cela. Je l’écris parce que d’autres yeux vont lire cette lettre, et ils doivent le savoir, ou il faut le leur rappeler. Vous êtes arrêté, vous êtes détenu pendant sept jours, en violation flagrante de la loi ougandaise, qui exige qu’une personne arrêtée soit inculpée devant un tribunal dans les 48 heures suivant son arrestation, et pendant ces sept jours, vous êtes interrogé et torturé à maintes reprises, subissant des blessures dont vous souffrez encore sept mois plus tard.
Et puis vous avez recommencé. Vous avez écrit un autre roman, The Banana Republic, dans lequel vous narrez votre épreuve douloureuse aux mains de ces officiers militaires corrompus. Le 18 septembre 2020, vous êtes de nouveau arrêté par les mêmes officiers des services de renseignement militaire ougandais. Une fois de plus, vous êtes torturé. Au bout de trois jours, vous êtes libéré.
Pour comble, vous avez été accusé par les personnes qui vous ont torturé « d’incitation à la violence et de promotion du sectarisme ». Pensez-vous qu’ils perçoivent l’ironie de cette accusation? Je ne le pense pas.
Cher Kakwenza, vous êtes un homme courageux qui a été entendu. Nous savons, ici au Canada, ce que vous infligent les autorités ougandaises. Nous savons, et nous déclarons ici que cela est fondamentalement inacceptable, qu’il s’agit d’une violation scandaleuse des droits fondamentaux de tout être humain. J’espère que la mise en lumière de votre cas vous sauvera de l’obscurité, que vous serez bientôt libre et capable d’écrire vos romans en toute sécurité, et que vos lecteurs le seront également.
Avec tout le respect et l’admiration qui vous sont dus,
Yann Martel
Auteur et parrain du centenaire de PEN International